Pierre Gervasoni, Le Monde, 4 juin 05
Georges Aperghis, Avis de Tempête
Avis de tempête", opéra de la génération "Matrix" - (...) Figurative (gros plan des personnages) ou abstraite (formes dissoutes), la polyphonie d'images qui résulte de la technique IRCAM détermine l'expression la plus captivante de l'opéra. Le texte, concassé par l'électronique, ne revêt, par comparaison, que peu d'intérêt. L'on suit donc distraitement les affres d'un "vieux crâne qui craque comme un verre" en libérant une multitude d'éclats verbeux.
Aperghis a voulu rendre tangible une tempête sous un crâne. On a l'impression qu'il s'est, à la manière du dieu de ses ancêtres grecs, fendu la tête pour en laisser échapper, prête à l'emploi, une machine de guerre au lyrisme cybernétique. Un opéra de la génération Matrix, en quelque sorte. Avec ses coups de vent dévastateurs et ses dépressions traumatisantes, le flux qui sort des haut-parleurs ne manque pas localement de séduction mais procède d'un parcours déboussolé qui, pour être conforme avec son sujet, n'en paraît pas moins frustrant pour le spectateur en attente d'un ensemble cohérent.
Eric Dahan, Libération, 4 juin 05
Georges Aperghis, Avis de Tempête
Tempête sonore - A Paris, dans le cadre du festival Agora de l'Ircam, un opéra expérimental de Georges Aperghis, impressionnant de technique et de poésie.
(...) Place au spectacle avec Agora, qui s'est ouvert jeudi aux Ateliers Berthier, avec un «opéra» pas comme les autres : Avis de tempête, de Georges Aperghis, figure tutélaire de «l'inouï», titre de la revue de l'Ircam que lance son directeur Bernard Stiegler. L'image choisie pour la couverture du premier numéro est celle d'une plate-forme pétrolière en pleine mer, déchaînée par l'orage. Et fait de cet Avis de tempête ¬ créé l'an dernier à l'Opéra de Lille, et présenté depuis à Nancy ¬ un symbole des enjeux pluridisciplinaires d'Agora 2005. Mais aussi de tout ce qu'on voudra y projeter d'esthétique, politique, existentiel, car cet «opéra» ne raconte pas une histoire avec des actions et des personnages : c'est un dispositif de mise en tempête intérieure. Au centre du plateau, une tour de contrôle, dans laquelle sont installés techniciens et ordinateurs, et qu'environnent des écrans vidéo tendus sur des architectures de métal. Tout autour, les musiciens de l'Ensemble Ictus, que dirige depuis un podium excentré Georges-Elie Octors.
Raffinement - Les vocalistes, la soprano Donatienne Michel-Dansac et les barytons Lionel Peintre et Romain Bischoff, tournent sans cesse, apparaissent et disparaissent des écrans. Tandis que voix et timbres acoustiques, transformés par synthèse granulaire, filtrage, squelettisation, criblent la salle de «carrousels», «verticales», «nuées» ¬ pour employer le vocabulaire d'Aperghis ¬ et font surgir, d'un raz de marée scintillant d'une heure dix, syllabes arrachées à Kafka, phonèmes échantillonnés chez Melville, mots hantés de Shakespeare. D'une belle vitalité rythmique et d'un grand raffinement, l'exercice est impressionnant tant du point de vue technique que poétique, avec sa conclusion limpide, en forme de nouveau départ.
Christian Merlin, Le Figaro, samedi 4 juin 2005
Georges Aperghis, Avis de Tempête
Oeuvre d'art totale - (...) Ici, le verbe n'est qu'un paramètre parmi d'autres d'une synthèse où vidéo, musique instrumentale, musique électronique, une danseuse et trois chanteurs également requis comme acteurs nous mènent à travers ce dédale audiovisuel. Et c'est là que l'on rend les armes devant la perfection avec laquelle le projet est mené à bien. Souvent, dans ce type de spectacles multimédias, quelque chose ne va pas : incrustations vidéo et jeu scénique, musique vocale, orchestrale et électronique, lumières, ces éléments sont souvent plus juxtaposés qu'intégrés. Ici, rien de tel : c'est l'union parfaite de tous les moyens d'expression qui fait d' Avis de tempête une oeuvre d'art totale. Avec un timing millimétré, tout s'enchaîne et l'on ne voit jamais les coutures. La technique Ircam démontre sa fiabilité, et les interprètes leur virtuosité : la danseuse Johanne Saunier, étourdissante, l'excellent Romain Bischoff, le génial Lionel Peintre et la renversante Donatienne Michel-Dansac, tout comme l'Ensemble Ictus et son chef Georges-Elie Octors, qui se révèle en outre un récitant hors pair, dont le sens du scat n'a rien à envier à Al Jarreau ou Bobby McFerrin.
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