Liquéfaction

Liquid Room poursuit l'expérience Nuove Sincronie, tentée à Milan par Fausto Romitelli et Riccardo Nova. Musique contemporaine, mais mode d'écoute d'un festival rock, ou d'une nuit d'improvisations électroniques : le public entre et sort, reste debout, la musique s'enchaîne sans pause, le bar reste ouvert : in et out. La production instantanée (remix, improvisation sur canevas) le dispute aux oeuvres préméditées, l'écoute distraite à l'écoute inquiète, mais à la fin on ne sait plus : l'accumulation brouille les contours.

Voici, dans le désordre, les quelques comèts qui traverseront ce temps liquéfié :

Ablauf, de Magnus Lindberg, date de 1988, soit la fin de sa période dure (sérialisme machinal et énergie punk). L'oeuvre est prévue pour le plein air, les inaugurations, les vernissages : une sorte de fanfare, en somme, pour clarinette basse et deux grosses caisses.

François Sarhan : nous reprenons quelques moments de l'Nfer, un point de détail, l'étrange mélodrame inspiré de Zappa que nous avions joué au Kaaitheater il y a six mois.

Plus tard dans la soirée, on pourra entendre une Carte Blanche semi-improvisée de Sarhan et Metzger - tous deux compositeurs, et que l'on retrouvera respectivement au laptop et au saxophone.

In Memoriam, du jeune Bruxellois Cédric Dambrain, est un hommage à Fausto Romitelli, regretté compositeur qui nous a quittés en 2004. Le trompettiste utilise ici une sourdine spéciale, faite pour le travail à la maison, qui oblitère totalement le son tout en autorisant sa captation par un micro-contact. Dambrain envoie ce signal vers une distorsion et un harmonizer (qui transpose le son à volonté), et donne la répartie au trompettiste via son laptop. Donnée récemment à l'Espace Senghor lors de l'examen de musique de chambre de la classe de François Deppe, cette oeuvre y a déclenché une sévère controverse.

Dambrain a également imaginé un système d'improvisations électroniques solistes qui fait appel à des joysticks de consoles de jeux (les meilleurs multi-contrôleurs, finalement). Nous lui laisserons un quart d'heure de carte blanche.

Seascape, écrit en 1994 par Fausto Romitelli, que nous évoquions plus haut, est une oeuvre pour flûte à bec contrebasse, appelée également flûte à bec Peatzold, qu'il s'agit de noyer dans les effets électroniques (de longues réverbérations, par exemple). Moins agressive que le reste de la production de Romitelli, plus statique aussi, Seascape joue sur le flux et le reflux de la respiration de l'instrumentiste (qui évoque le mouvement des vagues), en utilisant toutes les ressources spectrales de la Peatzold, dont il est possible de tirer - surtout lorsqu'on l'amplifie - de saisissantes gerbes d'harmoniques naturelles.

L'Ile sonnante, d'Hugues Dufourt, est un duo pour guitare électrique et percussion écrit en 1990. On sait que les compositeurs de l'école spectrale, réunis dans les années 70 autour de l'ensemble l'Itinéraire, avaient fondé un sous-ensemble électrique, l'EIEI, "l'Ensemble d'Instruments Electroniques de l'Itinéraire", où s'expérimentaient les ressources des intruments pop - synthétiseurs, guitares, pédales d'effets. Dufourt gardera toujours un contact heureux avec la guitare électrique.

A ce propos : on retrouvait à l'EIEI Tristan Murail, qui mettait alors son point d'honneur à attribuer à ses oeuvres des titres de littérature B : Vampyr, Atlantys, Une dépression dans le continuum, Mach 2.5... - tout, tout, plutôt que Konfiguration IIIb. L'oeuvre de ce soir, Visions de la Cité Interdite, utilise les ressources de deux synthétiseurs Yamaha DX7, très populaires dans les années 80, et naturellement spectraux : les sons y sont produits par l'intermodulation de sinusoïdes, dont la fréquence est réglée sur la suite des harmoniques naturelles. L'oeuvre date de 1987, tout s'est accéléré, et l'on est bien obligé de dire, malgré l'effet comique, que l'oeuvre sera jouée ce soir sur instruments d'époque.

Red Shift, de Lois V Vierk, date de 1989. Née en 51 en Etats-Unis, Vierk est une bonne représentante d'une certaine école minimaliste américaine, qui s'est baptisée "totaliste". Les processus graduels hérités de Steve Reich y sont adaptés à une esthétique plus ténébreuse qui intègre les influences orientales, les micro-intervalles, les glissandi, les rythmes irrationnels.

Horacio Vaggione est né en 1943 en Argentine, et a essentiellement travaillé à Paris. Vaggione est une importante figure de la synthèse granulaire et du micro-montage (construction de sons complexes à partir de fragments de l'ordre du centième de seconde, à la texture "granuleuse" et poudroyante). Jean-Claude Risset en écrit ceci : "La musique d'Horacio Vaggione est d'une vivacité mercurielle. (...) Pulvérisations cristallines, poudres de lumière, musique marquée d'une sorte de fébrilité, irradiant miroitements, éclats et éclairs, scintillements incessants (...)". Nous donnerons Myr-S de 1996, pour violoncelle soliste et sons électroniques stéréo.

Seascape (voir plus haut) aura été joué par Eva Reiter, flûtiste et gambiste, qui nous vient de Vienne. Elle est également compositrice, et c'est en sa compagnie que nous attaquerons Alle Verbindungen gelten nur jetzt ('toutes les connexions ne sont valables qu'à l'instant') pour flûte Paetzold, percussion, violoncelle guitare électrique et dispositif électronique.

C'est notre flûtiste, Michael Schmid, qui endossera le rôle du récitant dans la Ur Sonate de Kurt Schwitters. Peintre, poète, architecte, Schwitters est né en 1887 à Hannovre, où il anima une dissidence du mouvement dada, baptisée Merz. Spécialiste du collage et de l'accumulation, il composa également quelques grands poèmes phonétiques, parmi lesquels la Ur Sonate est assurément le plus riche en termes de sonorités et de rythmes. Schmid amènera sa Kaoss Box, sorte de loop machine qui permet la capture et le traitement de boucles en temps réel : la sonate de Schwitters, à la manière d'un concerto classique, autorise en effet une cadence improvisée.

   
   
   

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